La représentation photographique

L’obsession du réalisme. Sur trois expériences primitives de photographie (1837-1851), Focales n° 3 : Photographie & Arts de la scène, 2019.

Pour le critique de cinéma André Bazin, la photographie pourrait se définir par sa capacité de combler « notre appétit d’illusion par une reproduction mécanique dont l’homme est exclu ». Une formule dont cet article se propose de revisiter la portée, en partant de recherches sur trois « primitifs de la photographie » : le premier portrait réalisé sur une plaque au sel d’argent par Louis Jacques Mandé Daguerre en 1837 ; une série de daguerréotypes sur des barricades de juin 1848 (Charles-François Thibault) ; enfin un calotype de 1855, « Porte Cochère », de Louis Marie Bosredon, sur carton et papier salé.
Le premier portrait photographique. Paris 1837, Vulaines-sur-Seine, Éd. du Croquant, coll. « Sociologie historique », 2018.

 

Paris 1837. Louis Daguerre parvient à capturer le visage d’un homme. Là, dans les salles voûtées du Muséum d’histoire naturelle, il fixe une image effrayante de détails. Produit par la chambre noire, ce dessin photogénique est une empreinte d’un réalisme désarçonnant. Il se sera redécouvert qu’en 1998. C’est l’année où le daguerréotype représentant M. Huet fut présenté à la presse internationale. Un collectionneur l’avait acquis dix ans plus tôt au marché aux puces de Vanves.
Ce visage est le plus ancien exemple connu de portrait photographique. Une minuscule plaque de métal poli qui fut aussitôt accusée de tourmenter l’histoire de l’art. Ne venait-elle pas réveiller de vieilles querelles ? Comme celle de savoir qui, de la France ou de la Grande-Bretagne, a inventé ce mode de représentation ou qui, de Paris ou de Philadelphie, a mis au point le premier portrait purement mécanique. La chronologie des premiers pas de la photographie tombait en désuétude.
Au terme d’une incroyable enquête, ce livre vient révéler l’identité de ce « M. Huet ». Une façon de lui redonner un prénom et une biographie. Une manière aussi de faire revivre un monde oublié, le monde des graveurs et lithographes parisiens lancés dans l’aventure de l’industrialisation des images. Ce récit, campé à hauteur d’épaules, en restitue les rêves et les soubresauts. Désormais, l’appareil photographique ouvrait un nouveau rapport au temps. Le portrait de M. Huet fut bien un moment décisif. Celui de la naissance d’une culture visuelle qui est toujours la nôtre.

Résumé : Représenter la face humaine (AOC Media) ; L’histoire méconnue du premier portrait photographique (The Conversation)

Comptes-rendus : La Libre Belgique (avril 2018) ; Blog La Reppublica (septembre 2018) ; Camera Creativa (mars 2019, en italien) ; Sehepunkte (août 2020, en allemand)

« Ecce homo. Louis-Marie Bosredon et l’imagerie du Christ sous le Second Empire », 124-Sorbonne: Carnet de l’école doctorale d’histoire de l’art et d’archéologie 2017, en ligne.

 

Cet article interroge la production graphique de Louis Marie Bosredon (1815-1881), graveur et dessinateur qui produisit, notamment pour les éditeurs parisiens Bès et Dubreuil, une abondante série d’images de piété à partir de 1850. Marquées par la photographie – il fut un des premiers calotypistes de la capitale –, ses vignettes sont symptomatiques des attentes placées par les artistes quarante-huitards dans la mécanisation des supports de dévotion. Assurer l’équivalence entre perception, représentation et apparition : telle fut finalement le dessein de cet art industriel tourné vers une appropriation toute spirituelle, celle de formes sensibles transcendant la notion de surface.
« Bosredon et la mécanisation des arts graphiques dans la France du XIXe siècle », Figures de l’art. Revue d’études esthétiques, 32, 2016, numéro spécial « L’art et la machine », dirigé par Danièle Méaux, p. 231- 242.

 

Le graveur Louis Marie Bosredon fut, comme de nombreux artistes aujourd’hui oubliés, l’inventeur de machines destinées à copier ou dupliquer les images. Une enquête dans le fonds des brevets d’invention de 1789 à 1855 permet d’en faire, non pas une biographie exceptionnelle, mais une biographie exemplaire : celui d’un individu collectif qui illustre de que recouvre au XIXe siècle la reproduction mécanisée des arts graphiques. Une ingéniosité technique qui a accompagné l’industrialisation de la représentation.
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Une histoire de la représentation. Louis Marie Bosredon et le Paris de 1848, Vulaines-sur-Seine, Éd. du Croquant, 2016.

 

Louis Marie Bosredon ? Un caricaturiste, un graveur, un ouvrier, un catholique, un marchand de tableaux, un photographe… Engagé dans le Paris de 1848, ce touche-à-tout a œuvré pour une autre représentation graphique et politique. Par des lithographies, des calotypes, des décors imprimés, bref par des images mécanisées, lancées toutes à l’assaut de la hiérarchie des arts. Soulever la pierre qui condamnait l’accès à cette vie, c’est sans doute commettre l’irréparable. Car Bosredon cherchait délibérément à rester inconnu. L’obscurité qui s’attache à ses œuvres, il l’a recherchée. Et pour une raison simple. Il fut aussi un faussaire. Avec pour exploit d’avoir exposé, sous un nom d’emprunt, un portrait de Napoléon Ier, âgé de 16 ans. C’était au musée du Louvre. Oui mais voilà. À l’heure où le concept de gouvernement représentatif semble s’épuiser, comment continuer à taire l’intérêt qu’offrent ses dessins et ses convictions ? D’où ce livre qui invite, au terme d’une incroyable enquête, à interroger les fondements mêmes d’une forme de démocratie qui est aussi le creuset d’une culture visuelle. La trajectoire de ce quarante-huitard ? Elle n’est donc pas une biographie au sens classique du terme mais une véritable histoire sociale et politique. Celle d’un individu collectif qui fait découvrir les rêves ensevelis d’une République démocratique et sociale.

Comptes-rendus : Territoires contemporains (mars 2017) ; Cahiers Jaurès (2017) Annales ESC (août 2018) ; Le Mouvement Social (n° 264, juillet-septembre 2018) ; Le Mouvement social (septembre 2018) ; Revue Historique (n° 268, 2018) ; Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique (n° 146, 2020)

La barricade renversée. Histoire d’une photographie, Paris 1848, Vulaines-sur-Seine, Éd. du Croquant, 2016.

 

Paris, juin 1848. La révolution gronde dans les rues de la capitale. Partout, des barricades sont dressées. L’une d’elle, rue du Faubourg-du-Temple, va accompagner l’avènement du photo-journalisme. Dans l’éveil d’un petit matin parisien, trois forteresses obstruent une rue presque déserte. Une image aussi célèbre que méconnue. Due à un certain Thibault, elle montre une insurrection en acte. Qui en est l’auteur ? Et d’où vient ce mystérieux daguerréotype ?
Cette enquête inédite nous plonge en fait dans la petite histoire d’un homme, là, dans la grande histoire de la République. Suffrage universel, soulèvements populaires, industrialisation de la presse et de l’art : en revenant sur les pas de cet étrange reportage, ce livre nous fait découvrir la naissance d’une culture visuelle. Celle dont dépend notre conception même de la représentation politique. Car elle révèle la parenté secrète qui nous conduit jusqu’aux principes du gouvernement représentatif.

Comptes-rendus : Le Canard enchaîné (9 mars 2016) ; Le Monde (11 mars 2016) ; Dernières nouvelles d’Alsace (20 mars 2016) ; L’Humanité (22 avril 2016) ; Histoire de la Commune de Paris 1871 (Facebook) ; La Vie des idées (15 juillet 2016) ; Le Mouvement social (août 2016) ; La Réforme (8 septembre 2016) ; Blog « We’ll Always Have Paris » (néerlandais, 11 septembre 2016) ; Cahiers d’histoire (octobre 2016) ; Revue française de science politique (2017) ; Libération (2018) ;  Revue Historique (n° 681, janvier 2017, p. 186-188) ; Revista FotoCinema ; French History (décembre 2018)

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« Dans l’œil du daguerréotype. La rue du Faubourg du Temple, juin 1848 », Études photographiques, 34, 2016, p. 1-19.

 

Le cliché de Thibault passe pour la première illustration photographique d’un reportage dans les journaux. La rue du Faubourg du Temple lors des sanglantes journées de juin 1848 : telle est la scène capturée par ce célèbre daguerréotype. Cet article interroge cette expérience optique. Celle-ci ne lance-t-elle pas comme une passerelle entre la perception individuelle et la chronique du monde, la petite et la grande histoire ? Qu’est ce que l’œil peut voir sur ces images émouvantes ? Pour le savoir, il importe évidemment d’identifier ce « Thibault » que l’on imagine juché avec son lourd équipement de boîtes, de fioles et d’égouttoirs en face de la femme au bonnet blanc qui a surpris son geste. De quel lieu exact a-t-il pu prendre cette série de vues sur des barricades de Juin 1848 ? Cette prise de vue permet, plus largement, d’interroger le statut acquis par ce traitement optique de l’évènement. De quelle représentation du réel participe-t-il alors qu’au même moment se met en place la représentation politique du suffrage universel ?
Études photographiques n°34