Le mérite en République

« Refuser la Légion d’honneur. Du geste à la doctrine », Mil Neuf Cent, n° 37, 2019, p. 127-143.

Pourquoi refuser le ruban rouge de la Légion d’honneur ? Souvent mis en scène par la presse, ce geste s’enveloppe de significations contradictoires. Pour certains éditorialistes, il serait synonyme d' »excès de modestie » ou, au contraire, de « prétention débridée », traduirait un « désaccord vis-à-vis du pouvoir en place » ou, à l’inverse un souci d' »indépendance ».
« Aemulare. Pour une sociologie historique du management honorifique », in Pascale Laborier, Frédéric Audren, Jakob Vogel (dir.), Les sciences camérales. Activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 569-590.

Les décorations sont devenues le principal instrument démocratique de mesure du mérite. En un siècle, la France de la Révolution a institué douze fois plus de décorations que la France monarchique en cinq cents ans. Jusqu’en 1789, la royauté s’était de six insignes d’ailleurs rarement distribués : les croix de Saint-Michel, du Saint Esprit, de Saint-Louis, du mérite militaire, de Saint-Lazare et du Mont Carmel. La France républicaine, au lendemain de la seconde guerre mondiale, comptait, elle, plus de 60 décorations officielles. Ceux qui arrivent en fin de carrière professionnelle, on les décore, ceux qui ont réalisé un acte de bravoure ou subi une blessure sur un champ de bataille, on les décore, ceux qui ont réalisé des prouesses sportive ou artistique, on les décore. Sous forme d’étoiles, de croix, de palmes, de rubans, on les récompense en les autorisant à arborer des signes dont tout l’éclat tient dans le fait d’attester publiquement une supériorité. C’est ce « management » honorifique qu’étudie cet article.

« Les distinctions honorifiques au CNRS. Genèse, pratiques, usages », in Bruno Dumons, Gilles Pollet (dir.), La fabrique de l’honneur. Les médailles et les décorations en France, XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 197-217.

Si historiens et sociologues se sont beaucoup interrogés sur la figure du «grand homme », celui du « découvreur », du « génie » des sciences», ils n’ont consacré que peu d’attention aux procédés de reconnaissance scientifique. Notamment aux distinctions honorifiques qui sont pourtant devenues, depuis le début du XIXe siècle, un moyen habituel de consécration sociale. L’exemple du CNRS est révélateur. Depuis 1954, cet organisme distingue par des médailles les chercheurs à différentes étapes de leur carrière. Une politique d’envergure puisque plus d’une cinquantaine de médailles d’or ont été distribuées à ce jour auxquelles s’ajoutent 584 médailles d’argent (pour s’arrêter aux chiffres entre 1955 et 2001) et 1141 médailles de bronze (pour ceux entre 1971 et 2000). En 1992, une autre distinction est venue renforcer ce dispositif honorifique : le “cristal”, récompense accordée aux ITA (techniciens, ingénieurs), avec jusqu’en 2001 136 cristaux décernés. Moyen de « management » pour encourager et assigner, ces signes de grandeur sont aussi un instrument de gouvernement et de contrôle.
La fabrique de l'honneur
« Pour une histoire matérielle des récompenses », Hypothèses 2008. Travaux de l’école doctorale d’histoire de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 233-238.

Pourquoi les décorations se sont-elles développé sous la IIIe République ? Sans doute parce que, pour ses fondateurs, elles proposaient un avantage immédiat : celui d’exercer une forme de publicité assurant à ce régime de disposer d’une technique d’universalisation sans équivalent. Jules Simon le remarque : “sans la publicité, le courage civil est toujours une exception (…) Pour que l’esprit public se forme et se maintienne, il faut cette grande voix de la nation qui distribue chaque jour l’éloge et le blâme, qui rappelle sans cesse les principes sociaux, les intérêts communs”. Le point mérite attention. La décoration prétend être vue mais surtout que l’on voit et se laisse voir à travers elle. Par là, elle retient sous sa vue le regard qui s’y fixe. En développant le système des décorations, la république allait se faire le représentant de la portée de ce regard.
hypotheses2008

« Une fidélité épinglée. Récompenses honorifiques et stratégies clientélaires dans le Grenoble du ministre Alain Carignon », in Gilles Bertrand, Ilaria Taddei (dir.), Le destin des rituels : faire corps dans l’espace urbain, Italie-France-Allemagne, Rome, École française de Rome, 2008.

L’attribution d’une décoration est l’un des rituels les plus éprouvés pour faire corps : autour d’une figure de notable, autour d’une équipe municipale, autour d’une fierté territoriale. Cérémonie familière, la remise de médaille est pourtant rarement interrogée au local. Comme si cette pratique était abandonnée au carnet mondain. La littérature sociologique ? Elle ne s’est guère donné la peine de penser cette technique de rétribution du mérite. Comme si les honneurs ne participaient pas, eux aussi, de stratégies clientélaires. La politique transformée en relations personnelles : tel est, on le sait, le cœur d’un dispositif de patronage. Cependant, pour en saisir le rôle en matière de récompenses honorifiques, une vigilance toute particulière s’impose. Qui sont véritablement les récipiendaires ? Pour quelles raisons sont-ils distingués ? A qui doivent-ils leur reconnaissance ? Interroger les conditions d’obtention de telles marques d’exemplarité, c’est rencontrer le problème de leurs usages et cela au cœur des stratégies de constitution et de reproduction d’un fief électoral.
Le destin des rituels
Le mérite et la République. Essai sur la société des émules, Paris, Gallimard, 2007.

Elles sont partout – dans les entreprises, les administrations, les académies, à l’école, à l’armée, dans le sport, la littérature, la science, les médias… Abolies en 1790 par la Constituante au nom de l’égalité nouvelle, raillées par Tocqueville comme pâles imitations, « ni bien réglées ni bien savantes », des mœurs aristocratiques, les « distinctions » redeviennent très vite, pour la République, un moyen de conduire les esprits et les corps. On ne compte plus aujourd’hui les décorations officielles qui prétendent être la juste mesure du mérite. La « révolution disciplinaire » de Michel Foucault a érigé la peine en moyen de contrôle social. Or l’emprise de la récompense, autre technique du pouvoir, n’est pas moindre. Surtout depuis que l’émulation managériale en a fait une figure centrale de la dynamique capitaliste. Cette émulation décorative attendait son historien. Aujourd’hui banalisée et professionnalisée, hiérarchisée et fonctionnelle, la récompense au mérite, par des signes purement honorifiques ou des primes en numéraire, est devenue, pour la démocratie libérale, une entreprise permanente de cotation sociale. La démocratie n’a pas abaissé les grandeurs, encore moins avili les dignités comme le craignaient ses détracteurs, effrayés par la montée de la roture et de l’État. Non, elle en a fait un nouveau moyen de salut : à chacun de devenir, pour son bien, un émule – tout à la fois un rival et un exemple.

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Le mérite et la république
« Hiérarchiser des égaux. Les distinctions honorifiques sous la Révolution française », Revue française d’histoire des idées politiques, 23, 2006, p. 35-54.

Pas de pire manifestation de la tyrannie, aux yeux des révolutionnaires, que le commerce des rubans et des médailles. Non seulement parce qu’il contredit le principe d’équivalence entre les hommes mais parce qu’il est associé, depuis la chute de l’Ancien Régime, au pouvoir honni de la noblesse. Proclamés égaux devant la loi, les citoyens furent-ils pour autant privés de signes de distinction ? Ce fut la conviction d’une historiographie qui s’attacha pendant longtemps à interpréter la suppression des dignités d’Ancien Régime comme l’entrée en souveraineté d’une « égalité abstraite ». Le citoyen, un être sans qualité ? C’est à cette question que tente de répondre cet article en examinant la genèse, les pratiques et les usages des distinctions honorifiques durant la période révolutionnaire.
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« Les rubans du passé. Sur le Bicentenaire de la légion d’honneur », in Claire Andrieu, Marie-Claire Lavabre, Danièle Tartakowsky (dir.), Politiques du passé. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2006, p. 147-158. Voir le programme de ce colloque

Chaque commémoration a son point de perspective. En prendre la mesure, -comme y invitent les manifestations de l’année 2002 pour le bicentenaire de la fondation de l’Ordre de la Légion d‘honneur-, c’est, de près ou à distance, restituer un point de vue. Et donc dégager son point de fuite. Celui qui en éclaire les soubassements, celui qui, telle une lueur se projetant sur un objet, en fixe les attendus et les motivations. Commémorer, c’est bien plus que mobiliser un passé solennel. C’est former ou réformer le regard. Là l’envelopper d’une perspective flatteuse, ici réhabiliter un vœu ou une figure. Dans tous les cas, faire voir par un dispositif qui est, d’abord, une mise en scène du passé. L’année 2002 marque le bicentenaire de la fondation du plus important ordre de mérite français, une commémoration parmi d’autres mais une commémoration pas comme les autres. Très liée à la présidence de la République, elle fut l’occasion de rendre plusieurs hommages au fondateur de l’ordre, autour du tombeau de Napoléon aux Invalides. Des célébrations dont cette communication se propose de faire l’étude circonstanciée, aussi bien en province qu’à Paris, dans le monde savant que dans l’arène politique, par une comparaison de ses modes d’expression avec ceux des précédentes commémorations.
Politiques du passé
« The Market of Honors: On the Bicentenary of the Legion of Honor », French Politics, Culture & Society, vol. 24, n° 1, printemps 2006, p. 8-26.

This article focuses on the findings of a study of titles and honors in twentieth-century France, in which these signs are analyzed as a government technique in their own right. This article shows how, transformed into a state emulation, a style of bureaucratic authority was created, a mode of coercion that favored an impersonal style of control over and between various corps of administrators, artists, managers, journalists, or elected representatives. A government technique was constituted in the distribution of the croix de la légion d’honneur, the most famous of these decorations—one with a conception of exemplarity (that of marks of distinction serving as a model for behaviors transcending the frame of legal obligations) and an emphasis on the soundness of behaviors, the guarantee and objective of a policy of conduct openly intended to replace the policy of rights or classes inherited from the French Revolution. Philosophers and intellectuals were to transform this intuition into a political paradigm: virtue can also, in its own way, be a rule of policing. Rationalized by a fast-growing bureaucracy, these marks of grandeur that constituted a means of emulation have now been trivialized to the extent of no longer being analyzed as such. Reconsidering the conditions in which they operate, this article proposes an interpretation of uses and functions through which the decoration invented by Napoléon spawned an administration of honors, the crucible of a full-blown government science.
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« Cérémonies et diplomatie », « Honneurs », « Réceptions présidentielles », in Claire Andrieu, Philippe Braud, Guillaume Piketty (dir.), Dictionnaire de Gaulle, Paris, Bouquins / Robert Laffont, 2006, p. 183, 611 et 987. Dictionnaire de Gaulle
« Récompenser la vertu. Sur la charité « scientifique » de l’Académie des Sciences morales et politiques », Mélanges de l’École Française de Rome, t. 117, 2, 2005, p. 871-892.

Depuis la Révolution française, des services bureaucratiques se sont spécialisés dans la récompense publique. Plus encore : des catégories d’intervention inédites ont été forgées pour codifier la valeur éminente attachée à ces actes ou à ces qualités. Comme si les vertus des citoyens devaient dorénavant être visibles, diffusées, soutenues, en un mot habilitées par un art spécifique de gouvernement : celui des savants, fonctionnaires ou réseaux militants qui en accréditent l’éclat. Ce sont justement ces processus d’institutionnalisation de la vertu récompensée que j’ai souhaité analyser à travers les pratiques de « charité scientifique » d’une académie censée définir « le malheur méritant » : celui des familles ouvrières affrontées à l’indigence.
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« Le marché des honneurs : les théories de la récompense chez Giuseppe Gorani et Jeremy Bentham », in Guy Bensimon (dir.), Histoire des représentations du marché, Paris, Michel Houdiard éditeur, 2005, p. 709-728.

Les hommes des Lumières n’ont cessé de s’interroger sur la meilleure façon de conduire les corps et les esprits. La notion d' »intérêt » leur a semblé fournir la solution. Au point qu’ils l’ont appréhendée comme la matière première d’une sorte de manufacture de l’ambition. Non plus en vue de la dispensation de biens spirituels – les biens de salut se dissipent avec l’éloignement du paradis – mais dans un but plus immédiat : l’adjudication de signes de grandeur. Gouverner par les récompenses : voilà comment fut imaginé ce nouveau pouvoir social. D’où l’importance du débat sur les conditions qui permettraient aux traditionnelles « distinctions » de s’imposer comme une technique autonome. Mon propos sera justement de montrer que cette théorie nouvelle – celle de la « motivation » et de la « performance », c’est à dire du management honorifique – s’est affirmée dans le mouvement même et par lequel la récompense, se distinguant de libéralité et de la faveur, est devenue l’objet d’une science de gouvernement.
 
Histoire des représentations du marché
« Gouverner par les honneurs. Distinctions honorifiques et économie politique dans l’Europe du début du XIXe siècle », Genèses, 55, 2004, p. 4-26.
{numéro spécial Démocratiser les honneurs, coordonné par O. Ihl}

Je m’interroge ici, au titre de la genèse d’une science de gouvernement, sur l’entrée des honneurs dans le giron de l’économie politique. À la façon dont les traditionnels « bienfaicts » monarchiques se sont constitués en technique de gouvernement à part entière. En somme, à la manière dont ils sont devenus sous le label de l’émulation un mode de motivation et de classement des agents des administrations publiques, en France, en Grande-Bretagne et en Italie. Car très vite, ce mot d’ordre est devenu un lieu commun : celui d’une science du mérite réputée ouvrir la voie à un gouvernement par les récompenses. C’est à en comprendre les conditions d’invention mais aussi la force d’accréditation qu’est consacrée cette enquête.
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« Emulation through Decoration: A Science of Government? », in Sudhir Hazareesingh (ed.), The Jacobin Legacy in Modern France, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 158-182.

Cet article reprend en langue anglaise les résultats d’une étude conduite sur les titres et les honneurs dans l’Europe du XIXe siècle, des signes analysés comme une technique de gouvernement à part entière. Rationalisés par une bureaucratie en pleine expansion, ces marques de grandeur forment un moyen d’émulation aujourd’hui banalisé, au point de ne plus être interrogé en tant que tel. Revenant sur leurs conditions d’invention, ce travail propose une grille de lecture des usages et des fonctions au travers desquels la société de l’honneur d’Ancien Régime a donné naissance à une administration des honneurs, creuset d’une véritable science de gouvernement.
The Jacobin Legacy in Modern France
Notices « Les Fêtes civiques nationales » (p. 864-870), « Le Gouvernement » (p. 720-725), « Honorer » (p. 1058-1064), « Les Lieux » (p. 506-511), « Le Public et le privé », (p. 230-236) « La Vertu » (p. 283-288), « La République vue d’ici. Liberté, Egalité, Fraternité » (p. 1289-1295), in Vincent Duclert, Christophe Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2007, 2e éd.

Qu’est-ce que la République ? Une succession de régimes et un ensemble d’institutions, une multiplicité de symboles et une pluralité de significations, d’idées, de valeurs, que lui ont conféré une fourmillante signification. Si bien des formes sociales, culturelles et politiques qu’elle a pu autrefois traduire n’ont plus de pertinence aujourd’hui, leur héritage nous concerne au premier chef. Il conditionne la construction de la France de demain. Loin de s’enfermer dans une vision dogmatique qui en méconnaîtrait l’histoire, ces notices au contraire cherchent à rendre plus claire une notion sur laquelle tous ou presque semblent s’accorder. La République est bien plus qu’un consentement formel. Elle représente un patrimoine culturel et politique. Dans son horizon s’inscrit tout un ensemble d’actes publics, de comportements privés voire d’ajustements intimes qu’il fallait déchiffrer. Comprendre la République, c’est éclairer l’histoire d’une culture nationale et d’une tradition bureaucratique sur lesquelles l’esprit critique se doit d’intervenir.
Dictionnaire critique de la République
« La monumentalisation de la voie publique. Sur les politiques d’attribution des noms de rues aux XIXe et XXe siècles », in Philippe Poirrier (dir.), Les collectivités locales et la culture. Les formes de l’institutionnalisation, XIXe-XXe siècles, Paris, La Documentation française / Comité d’Histoire du Ministère de la Culture / Fondation des sciences de l’homme, 2002, p. 127-144.

L’importance que les républicains de gouvernement ont accordé à l’entreprise de laïcisation les a amené très tôt à vouloir réaménager l’espace public. Une notion qui doit être entendue ici dans son sens le plus matériel : celle d’une nouvelle emprise spatiale. Le sentiment d’appartenance au terroir est un enjeu essentiel de la territorialité républicaine. Les vieux agencements qui structuraient l’espace, qui le tramaient d’habitudes suspectes aux yeux de la république -noms de rues hostiles, croix et mont-joies à l’entrée des chemins, reposoirs des processions, calvaires et autres statues religieuses ont été tantôt démantelés, tantôt marginalisés. De façon plus ou mois prononcée, ils ont subi une sorte de remembrement symbolique dont la politique des noms de rue a contribué à redéfinir le tracé.
Les collectivités locales et la culture
« Une déférence d’État. La république des titres et des honneurs », Communications, n° 69, janvier 2000, p. 115-137.

Comment ne pas voir qu’une technique de gouvernement s’est constituée dans les distributions d’honneurs et de titres ? Avec sa conception de l’exemplarité : celle de marques valorisantes donnant en modèle des conduites qui dépassent le cadre des simples obligations légales. Et son insistance sur la justesse de comportements, gage et enjeu d’une politique des conduites qui ne se cache pas de vouloir remplacer la politique des droits ou celle des classes héritées de la Révolution française. Balzac avait qualifié cet idéal d’espionnage de la vertu : un état où « la surveillance des citoyens les uns sur les autres rend le crime impossible… où il faut ne pas raisonner pour en commettre. En effet, aucune des iniquités que la loi n’atteint pas ne reste impunie et le jugement social est plus sévère encore que celui des tribunaux ». Une intuition que philosophes et hommes de lettres vont transformer en un paradigme politique: la vertu peut aussi à sa manière être une règle de police.
Communications n° 69
« La Fondation Carnot (1895-1914) », in André Gueslin, Dominique Kalifa (dir.), Les exclus en Europe 1830-1930, Paris, Éd. de l’Atelier, 1999, p. 180-192.

En 1895, la veuve du Président Sadi Carnot confit à l’Académie des sciences morales et politiques la mission de découvrir les plus « méritantes » des veuves d’ouvriers chargées d’enfants et frappées par la pauvreté. Pour désigner les heureuses élues, les académiciens devront mettre sur pied un véritable concours de la misère. Une ingénierie de la récompense honorifique. Invités à comparer des milliers de demandes, historiens, criminologues, économistes ou sociologues couronnés par l’Institut de France seront conduits à rétribuer les vertus du malheur. A établir des degrés dans la pénurie, à construire une figure spécifique de l’exclue méritante, à fixer des principes de la grandeur indigente. En somme, à mettre un tarif à la moralité des plus démunis.
 
Les exclus en Europe
Le protocole ou la mise en forme de l’ordre politique (dir.), Paris, L’Harmattan, 1996 (avec Yves Deloye, Claudine Haroche).

Étrange classification, celle qui fixe l’ordre hiérarchique des positions de pouvoir. Rangée sous une rubrique austère, le droit des préséances, elle ne suscite généralement qu’une attention dédaigneuse. Comment ne pas juger frivole la question des honneurs attachés aux rangs et aux fonctions ? Pourtant, la réglementation des préséances recouvre un phénomène autrement plus essentiel. Transformée en protocole d’Etat elle a permis, comme le montre ce livre, de mettre en forme un style d’autorité bureaucratique. Un mode de coercition favorisant un style impersonnel de contrôle sur et entre les divers corps d’administrateurs et d’élus. En somme, de transformer l’administration patrimoniale en une bureaucratie de fonctionnaires. Une mise en forme du politique abordée ici dans une perspective comparative et socio-historique.
Le protocole ou la mise en forme de l'ordre politique
« Protocole et politique : formes, rituels, préséances » et « Les rangs du pouvoir. Régimes de préséances et bureaucratie d’état dans la France des XIXe et XXe siècles », in Yves Deloye, Claudine Haroche, Olivier Ihl (dir.), Le protocole ou la mise en forme de l’ordre politique, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 1996, p. 11-18 et p. 233-261. {Texte d’un rapport présenté au Colloque international : Le protocole ou la mise en forme de l’ordre politique, organisé par l’AFSP et le CRPS, Paris, 7-9 juin 1995, 35 pages}

Le monopole légal que se sont arrogés les pouvoirs publics sur les prérogatives d’honneur, aussi bien les droits à la préséance que les honneurs civils et militaires ou les distinctions honorifiques a permis l’invention d’une forme spécifique d’autorité qui fut essentielle au développement d’un modèle wébérien de la bureaucratie : c’est ce chantier de recherche qu’ouvre cette étude de sociologie historique centrée sur les usages des marques de grandeur dans la France du XIXe siècle. Un système d’honneurs producteur de dépendance et de majesté politique. En un mot, devenu une technique de gouvernement à part entière.
Le protocole ou la mise en forme de l'ordre politique