Le rire et le sacré

 
« Une insurrection graphique. La caricature socialiste des premières élections de 1848 », in Cédric Passard et Denis Ramond (dir.), De quoi se moque-t-on ? Satire et liberté d’expression, Paris, CNRS éditions, 2021, pp. 145-168.
« L’atelier du regard. Sur un dessin ouvrier dans le Paris du XIXe siècle », La nouvelle revue du travail, n° 10, 2017, en ligne.

La sociologie visuelle gagnerait beaucoup à s’intéresser au monde du dessin et de la gravure, pas seulement à la photographie ou au film. Elle pourrait, ce faisant, faire de ce monde graphique plus accessible au monde populaire un espace de découverte et de savoir. C’est pour en convaincre le lecteur que cet article s’attache à ce type d’images, notamment à sa façon de capturer et mettre en scène certaines des transformations qui caractérisent le Paris du 19èmesiècle. Intitulé “Madame, madame, un sous-jupe à vendre”, l’un de ces dessins – une caricature de Louis Marie Bosredon (1815-1881) – est ici étudié comme un révélateur de changements sociaux et urbains. Du à un artiste ouvrier proche du socialiste Charles Fourier, il fut diffusé en décembre 1857. Un exemple qui illustre une méthode de recherche, celle qui en rompant avec la distinction stricte entre art et science fait du dessin ouvrier un moyen d’observation participante à part entière.
« Le premier portrait de Buonaparte. Sur l’histoire d’un ‘faux’ », Circé. Histoires, cultures, sociétés, n° 7, 2015, en ligne.

Le dessin dont cet article propose une analyse socio-historique a fait l’objet d’une longue exposition publique dans les galeries du Louvre. Pourtant, au printemps 1914, une expertise du portrait fut réalisée. Conduite pour La Revue de l’art ancien et moderne, elle débouchait sur ce constat : costume et cheveux flottants sans cadenettes n’étaient pas ceux d’un officier du roi mais ceux d’un général de la Révolution. Autrement dit, c’était un faux. Faute d’indices, l’affaire fut classée, emportant avec elle plusieurs questions demeurées sans réponse. Qui était le vrai maître du faux ? Pourquoi avoir réalisé ce portrait d’illustration et dans quel but ? Quel était le sens de la dédicace « Mio caro amico Buonaparte, Pontornini del 1785-Tournone » qui lui servait de certificat d’authenticité ?
Revenir sur cette énigme, c’est éclairer la façon dont certaines images se matérialisent, entre tractations matérielles et aspirations esthétiques, souci de distinction sociale et stratagèmes artistiques. Car ce faux d’un genre si particulier – il faudrait parler d’une contrefiction – pose de nos jours un problème toujours actuel. Qu’est-ce pour un portrait de Napoléon de lui ressembler ?
« Le rire et le sacré. La révolte graphique du caricaturiste Louis Marie Bosredon en 1848 », Politix, 28, 2015, p. 137-170.

Après la chute de la Monarchie de Juillet, les images lithographiées se lancent à l’assaut du politique. Dès le printemps 1848, Louis Marie Bosredon, ouvrier socialiste, participe à cette révolte. Il multiplie les caricatures, notamment avec une série de dessins édités par Lordereau, rue Saint-Jacques ou par Bès et Dubreuil, rue Gît-le-Cœur. Comme pour mettre à bas l’éminence visuelle du roi. En retrouvant le temps et la narration de ces images fixes, cet article s’efforce de comprendre en quoi ces tirages participent de l’événement politique. Car la République n’a pas seulement ouvert, en 1848, un espace de libertés, celui des rires de lèse-majesté. Elle a tenté de donner son éclat à la souveraineté d’un peuple-roi. Longtemps inconnu, ce dessinateur n’a pas juste ri des grands qui chutaient. Il s’est appliqué à mettre en scène une autre formule de grandeur. Pour le mesurer, il faut interroger l’art comique de ce graveur. Non pas se contenter d’interpréter chaque dessin, en posant d’hypothétiques « significations », mais renouer avec leur structure sociale, notamment au travers les projets et dispositions qui, concrètement, ont pu les inspirer. Comment ses estampes, aujourd’hui presque sans vie, sont-elles entrées en insurrection ? Quel rôle le rire a-t-il joué dans cette recomposition du sacré en politique ? Un axe de recherche qui invite à expliquer de quoi se nourrit la révolte graphique de Louis Marie Bosredon, en somme, en quoi la caricature a pu donner libre cours à sa critique du gouvernement représentatif.
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« Смех и священное. К истории государственных праздников во Франции (Rire du sacré : Sur l’histoire des célébrations nationales en France) », Неприкосновенный запас (Neprikosnovennyj zapas), 100, 2015, p. 45-64. РЖ Рабочие тетради
« Louis Marie Bosredon et l’entrée dans le ‘suffrage universel’. Sociogenèse d’une lithographie en 1848 », Revue d’histoire du XIXe siècle, 50, 2015, p. 139-163.

Comment restituer l’intention qui a présidé à la composition de la célèbre lithographie de Louis Marie Bosredon sur L’urne ou le fusil en 1848 ? Cet article en a fait un domaine d’enquête. Éclairer le lien qui attache l’image aux aspirations de cet artiste socialiste et au delà d’une partie du monde ouvrier parisien, c’est revenir sur les premiers pas du « suffrage universel ». Non pas renouer avec un contexte général ou un débat intellectuel mais dégager sa raison graphique. L’histoire matérielle permet de retrouver les circonstances et dépendances dans lesquelles cette image a pu être prise. Référents visuels, environnement familial et professionnel, trajectoire éditoriale : cette estampe révèle alors sa dimension première, celle d’un objet visuel destiné à promouvoir la « république démocratique et sociale ».
« Le rire et le sacré. Sur les bals du 14 Juillet sous la IIIe République », in Collectif, Histoires de bal. Vivre, représenter, recréer le bal, Paris, Cité de la musique, 1998, p. 71-83.

La République a toujours été passionnément attachée à l’idée des bals publics. Comme si, au pied de ces kiosques à musique, quelque chose d’essentiel devait s’accomplir. Alors que l’orchestration de la liesse est devenue aujourd’hui un paysage sonore sans écho ni repère, la nostalgie, elle, demeure. La nostalgie, oui mais de quoi ? En fait, entre le 14 Juillet et les orchestrations en plein vent, il y a plus qu’une histoire. Une secrète nécessité. D’ailleurs, à chaque date charnière, 1936, 1945, 1958, 1981, les mêmes gestes ressurgissent. Des instruments montent sur les estrades tandis que des rampes de couleurs sont accrochées aux corniches des devantures. Aujourd’hui, l’on danse toujours. Certes, sans les airs patriotiques et sans les obsessions politiques du passé. Mais ce qui demeure assurément, c’est la fascination pour une forme de rassemblement qui, à travers les plaisirs du corps et de la rencontre, célèbre la figure d’un peuple à la fois sujet du spectacle et objet de la liesse.
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« Le bal du 14 Juillet », in Florence Gétreau (dir.), Les musiciens de rue, catalogue de l’exposition du Musée des Arts et Traditions populaires, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1997, p. 87-92.

Le bal du 14 juillet est devenu une véritable institution des fêtes françaises. Depuis 1880, date de création de cette célébration en l’honneur de la République, les musiciens et le public sont fidèles à son rendez-vous annuel. La place publique est le lieu du bal, mais aussi, selon les époques, un bastringue, un carrefour de rue, une simple estrade, une guinguette, un kiosque à musique, un jardin ou un parc, une salle de village ou de château. Les musiciens des premiers bals du 14 juillet élaborent des spectacles qui invitent rire et sacré sous les guirlandes tricolores. Ils entraînent la foule dans la danse, mais aussi dans une joie patriotique. Le bal, citoyen, entretient le souvenir de l’histoire héroïque de la Révolution, d’une insurrection qui est l’affaire de tous. Tour à tour officielle, frondeuse, allusive, subversive, clandestine, la musique de rue des bals du 14 juillet raconte à sa façon l’histoire politique de la France. La Marseillaise côtoie l’Internationale, et sous l’Occupation par exemple, La Carmagnole et le Ça ira sont diffusés sur Radio Londres, au matin de chaque 14 Juillet.
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« Le prescrit et le proscrit. À propos des usages politiques de l’outrage dans les commémorations républicaines », in CURAPP, Les bonnes mœurs, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 77-91.

Déformer pour réformer : telle paraît être la logique des mises en scène parodiques des bonnes mœurs commémoratives. Une catégorie aux frontières incertaines, à peine unifiée par le vocabulaire de la réprobation dont elle est enveloppée. Cet article s’attache à éclairer leurs ressorts sociaux et politiques afin de monter combien, au même titre que les apostrophes jugées outrancières ou irrévérencieuses, de telles démonstrations éclairent un champ normatif : celui des attendus qui enserrent la mise en œuvre de la majesté d’État en France. Cercle abstrait de prescriptions et de proscriptions hors duquel s’établit le domaine inquiétant de la transgression : des savoirs et des pratiques réputés sans alibi mais constamment à l’affût d’une vérité à dévoiler ou d’une authenticité à préserver.
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