Les « sciences » de gouvernement

« Rey, oui mais lequel ?’. Sur l’entrée de la ‘science sociale’ au sein de l’Académie delphinale », in René Favier (dir.), L’Académie Delphinale. 250 d’histoire et de mémoire en Dauphiné, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2022, p. 192-211. 

Une contribution portant sur Joseph Rey, penseur grenoblois du socialisme
Gouverner par la science. Perspectives comparées (dir.), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2013 (avec Yves Deloye et Alfredo Joignant). 

Scandales sanitaires, principe de précaution, risque sismique, etc., les médias sont le reflet de ce qu’on ne peut plus gouverner sans prévoir. Aujourd’hui les rapports entre science et pouvoir sont de plus en plus épineux, mais aussi de plus en plus imbriqués. L’analyse des ingénieries de gouvernement constitue une voie de recherche nouvelle, s’attachant à comprendre les interactions spécifiques entre savoirs académiques et pratiques bureaucratiques dans un contexte de mondialisation. Cet ouvrage de référence décrit les rapports entre sciences et action gouvernementale, à l’heure où se multiplient les interrogations sur l’expertise, la technocratie, et la substitution des compétences à la règle de la représentation. À travers les contributions des meilleurs spécialistes, l’ouvrage met ainsi en relief les effets sociaux de la recherche académique, et rend compte de la succession des modèles qui gouvernent les « sciences » de l’action publique. Il montre ainsi combien les sciences dans l’État peuvent se muer en sciences de l’État, et parasiter le jeu traditionnel de la représentation démocratique.
« Les républiques du concours. L’identification du mérite bureaucratique en France et aux Etats-Unis », in Denis-Constant Martin (dir.), L’identité en jeux. Pouvoirs, identifications, mobilisations, Paris, Karthala, 2010, p. 157-178. 

 

Si l’on veut comprendre les rapports qui se nouent entre élection et concours dans la désignation des élites dirigeantes, il importe de délaisser les doctrines juridiques ou les cultures nationales, sortes de fétiches à qui trop d’analystes ont fait jouer le rôle de deus ex machina. Pour la sociologie historique, l’explication est ailleurs. Elle réside dans la précocité avec laquelle l’autonomie de la puissance publique s’est trouvée conditionnée par sa prétention à être le serviteur de l’intérêt général. Une prétention à laquelle le recrutement au mérite – sous les dehors de l’imperium du concours – a apporté une légitimité essentielle. Max Weber en a perçu l’importance en reliant la notion de bureaucratie à l’existence de recrutements par voie de concours. « Le grand instrument de la supériorité de l’administration bureaucratique est le savoir spécialisé » : sa célèbre formule le dit à sa manière. A la réserve près qu’identifier le mérite a toujours posé de redoutables problèmes.
« Objetividad de Estado. Sur la science de gouvernement des Chicago Boys dans le Chili de Pinochet », Revue internationale de politique comparée, vol. 19, n° 3, 2012, p. 67-88. 

Cet article s’efforce de circonscrire les formes et enjeux de la circulation internationale de certains modèles d’action gouvernementale en revenant sur la littérature prétendument scientifique consacrée à l’aventure des Chicago Boys dans le Chili autoritaire de Pinochet. La puissance dictatoriale chilienne ne fut pas que militaire. Elle fut aussi économique. Ses « élites scientifiques », formées à l’Université de Chicago, formèrent de véritables bastions d’un nouveau militantisme savant. Les Chicago Boys, menés par Milton Friedman, donnèrent légitimité et objectivité à la doctrine économique d’Augusto Pinochet. Comment ses savoirs spécialisés ont-ils été enrôlés par l’État ? Comment cette prétendue science économique s’est-elle constituée en dispositif de gouvernement ? Il importe pour répondre à ces questions de dégager leurs modes de diffusion (logique d’accréditation), leurs procédures de consécration (logique de certification) ainsi que les mobilisations de soutien ou de défiance dont ils pu faire l’objet (logique de légitimation).
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« Dans l’ombre portée d’un concept. La notion de compétence dans les manuels de science politique des années 1950-60 », in Jean-Louis Autin, Laurence Weil (dir.), Le droit figure du politique. Mélanges offerts au professeur Michel Miaille, Montpellier, Université Montpellier 1, 2008, vol. 1, p. 337-351.
Les « sciences » de l’action publique (dir.), Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2006. 

Quelle place les savoirs produits par la science politique tiennent-ils dans le gouvernement des hommes et des territoires ? Comment ces outils d’analyse sont-ils mobilisés concrètement par les pouvoirs publics ou les groupes d’intérêt ? Par qui sont-ils certifiés et sous quelles conditions ? En retour, quelle incidence a cette instrumentalisation sur la nature et le statut des laboratoires où s’élaborent ces concepts politiques ? Dans l’Europe contemporaine, jamais ces questions n’ont paru si sensibles. Il est vrai qu’une véritable industrie des « études » et « expertises » s’est développée. Longtemps cantonnée à la fonction Recherche des administrations nationales, la voilà qui s’organise dans et autour des institutions européennes : Conseil de l’Europe, Commission, Banque centrale européenne, Parlement, Cour de Justice, etc. Phénomène entièrement nouveau ? Sans doute pas. Que la recherche scientifique participe des processus de régulation publique est un fait ancien. Pourtant les formes prises par cette « participation » appellent de nos jours une réflexion spécifique. Derrière ce débat, une question se pose : comment les savoirs de l’action publique hérités des Trente Glorieuses se sont-ils recomposés notamment sous la double action de t’européanisation des politiques publiques et de la redéfinition du rôle de l’État face au marché ? Quelles figures du pouvoir sont associées à cette transformation fondamentale, celle du passage d’un monopole étatique à une pluralité de systèmes d’action publique, celle de rapports renouvelés entre ingénierie de gouvernement, sciences sociales et action politique.
« Las conspiraciones ante el espejo de una ‘ciencia del poder’. O las lecciones liberales del ministro François Guizot », in Juan Cristobal Cruz Revueltas, Jesus Rodriguez Zepeda (dir.), Teorias de la Conspiracion, Mexico, Publicaciones Cruz O.S.A., 2006, p. 63-104. rzd.php
Notice « Sciences de gouvernement », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, 3e éd., p. 583-591.
« Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », Revue française d’histoire des idées politiques, 19, 2004, p. 125-150. 

La conception que développa François Guizot des complots, brigues et autres attentats, dans un texte publié en 1821, se veut proche d’une science de gouvernement. Science qui, à la manière du caméralisme allemand, prétendait fondre la philosophie politique et les préceptes de l’action administrative en une sorte de savoir d’Etat destiné à incarner une autre rationalité sur et dans la gestion de l’ordre public. Un travail d’autant plus intéressant qu’il inspirera la loi du 23 avril 1832 et que son auteur sera lui-même confronté, comme ministre de Louis-Philippe, à des mouvements insurrectionnels qui mettront à rude épreuve cette conception de la science du pouvoir. Et cette ingénierie de gouvernement.
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Les sciences de gouvernement (dir.), Paris, Economica, coll. Études Politiques, 2003 (avec Martine Kaluszynski et Gilles Pollet). 

La conduite des hommes et des choses ? Elle doit s’exercer depuis le XIXe siècle en Europe par la mobilisation de « savoirs spécialisés ». Non par l’observance stricte du droit, fut-il naturel, ou dans l’ombre portée de la Philosophie mais guidée par « l’expérience ». Il ne s’agit nullement pour ses hérauts de dégager les formes du Gouvernement le plus légitime ou de déterminer quelle portion de liberté l’homme peut avoir reçue de la nature. Délaissant ces « spéculations métaphysiques », les sciences de gouvernement ont frayé la voie à un autre discours. Si la gestion des hommes et des territoires doit être soustraite aux catégories philosophiques ou juridiques, par exemple à l’antique prudentia civilis avec ses préceptes solennels influencées par le néo-stoïcisme, c’est parce que la rationalité du gouvernement est désormais conçue comme une rationalité sur le gouvernement. Parce qu’elle se fonde sur des outils et des techniques élevés au rang de garants, sinon de critères de l’action publique. Voilà à quoi s’attache cet ouvrage issu d’un colloque organisé par le CERAT notamment le groupe de sociologie historique des sciences de gouvernement.
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« Pour une sociologie historique des sciences de gouvernement », Revue française d’administration publique, 102, avril-juin 2002, p. 229-243 (avec Martine Kaluszynski). 

Comment la conduite de l’action publique est-elle devenue objet de science ? Tel est l’enjeu de cet axe de recherche développé depuis 2000 au CERAT et auquel cet article donne une formulation théorique. Avec l’avènement en Europe des monarchies absolutistes, avec le développement d’administrations monopolisant les fonctions gouvernementales, la science tient une place capitale dans le gouvernement des hommes. Nombreux vont être dès lors les réformateurs s’efforçant de constituer leurs savoirs en « sciences gouvernementales ». Des savants évidemment, mais aussi des administrateurs, des philanthropes, des mécènes, des hommes de lettres, des magistrats… Souvent sans sépulture académique, ces figures ont eu un rôle déterminant. Elles ont imposé, sous couvert de projets réformistes, de nouvelles connaissances au cœur de l’action publique. Reconstituer leur rôle ne revient pas à réparer une injustice. Il s’agit plutôt d’analyser l’entrée en jeu de savoirs dont participent les dispositifs qui, encore de nos jours, encadrent le social. Plus exactement : de suivre leur métamorphose en ingénierie d’État mais aussi de comprendre leur institutionnalisation sous la forme de « disciplines » et parfois de « communautés académiques ».
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« Le XIXe siècle au miroir de la sociologie historique », Revue d’histoire du XIXe siècle, vol. 13, n° 2, 1996, p. 47-57 (avec Yves Deloye).
{Texte d’un rapport à la journée d’études de la Société d’histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, Paris, le 12 octobre 1996} 

Le politique a toujours été un espace du savoir historique. Mais la conception qu’en ont donnée l’école des Annales, puis l’histoire économique et sociale avait fini par le reléguer dans de lointaines périphéries : celles de l’évènementiel ou de l’institutionnel. Depuis quelques années, le développement d’une sociologie historique du politique permet de revenir sur cet héritage. Non pour promouvoir un quelconque « retour à » mais pour dépasser, autrement dit pour intégrer et prolonger des clivages aujourd’hui inopérants. Traversant les barrières disciplinaires, cette interrogation prend appui de façon privilégiée sur l’étude du XIXe siècle. C’est ce tournant historique de la science politique qu’examine cet article d’autant qu’il permet de mieux comprendre les usages d’une certaine « objectivité d’apparat » dans l’analyse des pratiques de gouvernement.